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José Luis Torres. Photo: Paul Bossé

Les artistes du Symposium sont-ils des espèces envahissantes?
À tous les jours, ces agents de perturbations (non-nuisibles?) s’infiltrent dans des décors naturels où ils déplacent une variété de matériaux qu’ils assemblent ensuite en structures biscornues. Devrait-on s’en inquiéter?

Le sculpteur argentin José Luis Torres, transplanté au Québec depuis 2003, est un spécimen sur lequel on doit s’attarder. La preuve? Il qualifie ses œuvres de «constructions virales et invasives». Qui s’emparent, magnifiquement il est vrai, des paysages dans lesquels ils prennent forme. Canopy, une installation publique massive qu’il a crée à Edmonton tout récemment, couvre 225 mètres carrés! Devrait-on s’en inquiéter?

Au sud-est du Parc écologique du Millénaire, à proximité de la rue Hillside, Torres a mis sur pied un véritable bric-à-brac de pièces disparates: palettes de bois, portes, Adirondacks d’enfants en plastique, pneus peinturés bleus, cadres de fenêtres et même un canot. Ce sont tous des objets qu’il a récupérés lui-même, dont plusieurs à Edmundston, où il s’est arrêté en chemin.

Torres sélectionne une latte en bois, puis il escalade prestement la base de sa tour émergente, une structure rivalisant déjà les deux arbres avoisinants. Un charriot d’épicerie abandonné, objet curieusement répandu à Moncton, domine présentement l’ouvrage. On entend le whirrr strident d’une visseuse et presto la banale latte verte fait maintenant partie d’une œuvre d’art qui risque de trôner là pendant des années.

Les paroles d’une chanson de l’iconique Tom Waits me viennent à l’esprit : «what the hell is he building in there?»
Je lui demande. Admirer la beauté de sa réponse : il ne sait pas. Car Torres n’a aucun croquis, aucun plan pour sa construction. Il crée au fur et à mesure. De manière ludique. En improvisant. Comme un musicien de jazz presque.
Tout ce qu’il sait ce qu’il vaut monter, toujours monter. Jusqu’au fantasmagorique?

S’agira-t-il d’une sculpture-architecturale du genre Watts Towers de Sabato Rodia?
Ou d’une architecture-sculpturale rappelant les édifices hallucinés d’Antonio Gaudí?
Comme Torres a étudié les deux disciplines, c’est dur à dire. Et ça n’a pas d’importance.

Aargh! Les maringouins endiablés me forent la peau sans répit. C’est le temps de battre en retraite.
Mais demain, je reviendrai assurément. La curiosité de voir à quoi ressemblera cette croissance est trop forte.

Par Paul Bossé

Né à Moncton en 1971 d'une mère fransaskoise et d'un père brayon. En 1994, il complète son bac. en cinéma à l'université de Concordia. L'année suivante, il collabore avec le cinéaste Chris LeBlanc et le groupe musical Les Païens à la création d'une série télévisée de science-fiction folklorique: C.H.E.P.A. Au début de l'an 2000 un pyromane met le feu à son appart. À l'automne de la même année, il publie son premier recueil, Un cendrier plein d'ancêtres, aux Éditions Perce-Neige. En 2002, il tourne Kacho Komplo avec l'ONF. Depuis, il contribue diligemment à ses trois disciplines, publiant trois autres recueils (Averses, Saint/George/Robinson, Continuum), écrivant cinq autres pièces de théâtre, et tournant dix autres films. Un nouveau recueil, Les Démondeurs, vient de paraître aux Éditions Perce-Neige.