Il pleut

Samedi 29 septembre – il pleut.

Je dis il pleut car la pluie est un ingrédient totalement inespéré dans un contexte comme celui-ci. Il est d’ailleurs assez significatif et ironique de constater que la pluie qui nous a fait si cruellement défaut cet été soit au rendez-vous cet automne. La terre a soif c’est un fait mais encore là tout est relatif puisque ceux qui se complaisent au soleil ne trouvent pas ça très amusant. Pour un symposium d’art nature au tout début de sa troisième édition c’est un élément plutôt contraignant à la fois pour les artistes et pour le public qui ne pourra se rendre sur les lieux à moins de faire preuve d’un engagement héroïque, engagement qui se reportera sans doute sur la visite des galeries car aujourd’hui c’est sans doute ce qui retient l’attention. Entre une galerie bien chauffée et faisant partie d’un parcours annuel qui attire de plus en plus l’attention, la choix semble sûrement très pénible à effectuer.

L’environnement sonore de Michel Deschênes et Richard Gibson a dû être remis à la semaine prochaine, mardi après-midi en fait, à la condition que dame nature se donne la peine de fermer le robinet qu’elle a l’intention de laisser ouvert toute la fin de semaine et même lundi à ce qu’en disent les prophéties d’environnement Canada.

Tout n’est quand même pas perdu puisque le cycle des conférences a débuté ce midi, en français du moins, avec l’intervention de Bill Vazan (Prix Borduas 2010) , l’un des pionniers du land art au Canada, qui a surtout insisté sur ses travaux en relation avec le thème de la nature car il y a une différence entre land art et art nature, différence dans le temps mais aussi au niveau esthétique car dans le premier cas il s’agissait surtout de sortir de la galerie pour produire dans le vaste monde des oeuvres qu’on y ramenait ensuite sous forme de constats photographiques à l’effet que l’oeuvre avait bel et bien eu lieu. En ces années pré-photoshop la photographie tenait encore lieu de preuve absolue.

Les oeuvres du land art sont souvent des exploits qui, sans l’aide de la machinerie lourde n’auraient sans doute jamais vu le jour. Ainsi lorsque Michael Heizer, en 1969, déplace 240,000 tonnes de ryolite et de shiste dans le désert du Névada pour créer une tranchée de 1500 x 50 x 30 pieds de profondeur, on s’entend qu’il n’aurait jamais pu réaliser un tel exploit sans l’aide de bulldozer ou de pelles mécaniques. L’empreinte environnemental pour ces artistes était aussi souvent négligeable. Lorsque Robert Smithson (Asphalt Rundown) déverse une quantité impressionnante de bitume le long d’une côte rocheuse à Rome en Italie, il s’intéresse sans doute plus au résultat visuel qu’à l’impact écologique.

Michael Heizer, Double Negative, 1969

Il en va tout autrement de l’art nature qui vise à faire des interventions en utilisant principalement des matériaux trouvés sur place. Si l’on compare le travail d’artistes tels que Nils Udo ( dont on peut voir l’une des oeuvres dans le parc écologique où se tient le symposium) ou d’Andy Goldsworthy on se rend compte de la différence d’esthétique qui sépare ces deux mouvements. L’art nature plus orienté vers le romantisme et sa notion du sublime, vise à une réconciliation avec une vision plus proche d’enjeux environnementaux dont nous n’avons pas fini d’entendre parler. Le thème de ce symposium axé sur le concept de l’énergie en est une preuve manifeste car si nous avons besoin d’énergie nous devons aussi nous poser la question d’une réconciliation nécessaire entre la nature qui jusqu’aux énergies fossiles avait toujours pourvu à nos besoins. Le 20e siècle, qui s’est voulu celui de l’accélération, est venu brouiller les cartes à ce sujet en nous plaçant dans un dilemme que nous n’avons pas fini de revisiter. Comme toujours l’art, avec sa faculté d’innovation, son sens intuitif des solutions, peut contribuer ou tout au moins nous aider à réfléchir et à redéfinir ces enjeux.

Andy Goldsworth, Cherry Leaves, 1986

Tout ceci est un assez grand détour pour revenir à Bill Vazan dont les premières oeuvres de land art remontent à la fin des années soixante, soit à la grande époque de cet école dont les principaux représentants, du moins ceux qui jusqu’ici ont trouvé leur chemin dans les manuels d’histoire de l‘art, se retrouvent aux États-Unis. Bill Vazan est l’un des rares à avoir pressenti l’importance et l’originalité de cette école et à l’avoir intégré très tôt à son travail. Parmi les photos des oeuvres qu’il a choisi de montrer, je retiens celle d’un tracé reliant diverses galeries d’importance au moyen de lignes qui rendent compte de la bifurcation qui les relient entres elles. Cette oeuvre, à la fin des années soixante, à une époque où l’internet n’existait pas, a nécessité deux ans de tractations et de correspondance. La carte tient compte du tracé projeté et du tracé effectué car il a fallu réduire le projet faute de temps et d’interlocuteurs, Vazan ne parlant que l’anglais et le français. Évidemment on retrouve dans cette oeuvre l’influence de Dennis Oppenheim, cet artiste majeur dont la somme et l’extraordinaire parcours n’ont pas fini de nous impressionner. Après la conférence j’en fait la remarque à Vazan qui me dit que oui, peut-être, l’utilisation des cartes constituant l’un des matériaux de prédilection du travail d’Oppenheim, mais qu’en fait tout se tient dans le monde de l’art. Il me ramène ainsi à l’idée qu’il n’y a pas de génération spontanée, idée avec laquelle je suis fondamentalement d’accord.

Autre oeuvre à l’autre bout du spectre en fait puisque ce travail n’a pas encore été exposé c’est cette utilisation qu’il compte faire de matériaux recueilli un peu partout au cours de ses nombreux voyages et qu’il a l’intention de mélanger à une base acrylique pour l’appliquer de manière directe sur du papier. L’eau a toujours constitué un thème important de l’oeuvre de Vazan puisqu’on en retrouve le mouvement dessiné au jet de sable sur de nombreuses pierres qu’il a exposé un peu partout. Il aime l’idée du papier qui obéit à l’eau. Le fait d’utiliser cette matière allant du sable aux excréments de lama qu’il a recueilli lors d’un voyage à Machu Picchu, devient pour lui une matière qui agit un peu à la manière du pigment qu’on mélange à un liant quelconque pour en faire de la gouache, de l’aquarelle ou de la peinture. Certains souvenirs, comme des pierres seront pulvérisées de manière à les incorporer à la base acrylique. Il y a quelque chose de magique au sens puissant du terme dans cette entreprise car au lieu d’inclure de la couleur on retrouve ici une volonté de conserver la mémoire, le temps ou l’émotion. Il a ainsi produit 200 de ces oeuvres qu’il ne voit pas comme de la peinture puisqu’il n’utilise pas les instruments traditionnels de la peinture mais plutôt comme une application directe sur un support papier avec une cuillère, écrivant le titre comme «tiannamen square» au moyen de son doigt, essayant le plus possible de faire en sorte que l’image ou l’objet soit le résultat d’une opération plutôt que d’une organisation spatiale quelconque comme c’est souvent le cas en peinture.

Dans toutes ces oeuvres la photo devient un élément primordial non seulement comme trace, comme souvenir, mais aussi comme documentation, ce qui laisse place à une réconciliation avec une certaine esthétique au-delà du simple accident ou de la dimension aléatoire de l’entreprise. Parmi les oeuvres plus axées sur la photographie on se souvient des vues périphériques qui font parfois penser à des toiles cubistes dans leur volonté à inclure plusieurs dimensions bien qu’ici ces «vues» font surtout appel à une organisation rigoureuse de l’espace et de l’appareil photo comme outil d’enregistrement.
Bill Vazan, A Smaller World

Il est toujours intéressant et fascinant de constater un travail qui s’élabore sur une longue période de temps et il est bien évident qu’il est impossible de résumer non plus que d’apprécier une oeuvre qui s’étend sur une aussi longue période. Immanquablement on en vient à penser aux lieux où nous-mêmes nous étions lorsque telle oeuvre a vu le jour. La fin des années soixante dix par exemple. J’étais étudiant à Mount Allison et mon professeur préféré était Colin Campbell qui deviendra célèbre par la suite comme l’un des pionniers de l’art vidéo au Canada. Je me souviens que, pour un de mes projets de sculpture, j’avais vaporisé, un mélange de peinture mauve sur une assez grande surface de neige. Mais c’était l’époque où je ne documentais rien. Ce qui, heureusement, n’est pas le cas de Vazan, visiblement mal à l’aise avec la technologie. À la fin de notre court entretient, en regardant les livres qu’il a apporté et qu’il va donner à André Lapointe pour qu’il les remette à la bibliothèque il me fait part qu’il préfère encore lire sur du papier d’où l’importance des livres mais nous sommes tous deux conscients qu’il s’agit là d’un phénomène de génération. Entre temps il y a la nature qui continue d’exister comme toujours et qui nous pose sans cesse la même énigme, une question à laquelle il n’y aura peut-être jamais de réponse valable mais qui est au centre de nos préoccupations et à laquelle les artistes essaient depuis toujours de donner un sens ou tout au moins une forme.

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Catégorisé comme 2012

Par Herménégilde Chiasson

Herménégilde Chiasson est un artiste multidisciplinaire à la fois artiste visuel, écrivain, cinéaste et homme de théâtre. Sa traduction de Speed-the-Plow de David Mamet sera à l’affiche du théâtre l’Escaouette le 10 octobre prochain. Durant la durée du symposium il tiendra une chronique à la fois personnelle et aléatoire sur divers aspects de cet événement unique et très inspirant en ce début d’automne unique et mémorable.